C'est souvent une question qu'on me pose: "Comment tu fais?"… Bien que je n'aie pas de recette toute faite (en fait, à chaque fois, c'est "la guerre"… La guerre contre le crayonné, la guerre contre tous mes outils, et l'anarchie la plus totale dans ma façon d'aborder les différentes étapes de réalisation d'une image). Mais bien que ce soit à chaque fois une improvisation totale et chaotique, j'essaie de rationaliser au maximum mon approche du travail afin de perdre le moins de temps possible à chaque étape. Il y a toujours le passage par les premières recherches, les roughs proposés, puis le crayonné, éventuellement un encrage, puis la couleur. C'est tout du moins comme ça que ça se passe avec les "pros" qui me passent des commandes (éditeurs en tête…)

Bref, comme vous pouvez le savoir si vous suivez ce blog, je suis depuis plus de deux ans sur une série de livres historiques, avec des grandes images en couleurs (à l'aquarelle, choix assumé de l'éditeur). À force de tâtonnement, d'errances diverses et variées, et comme j'ai réalisé depuis le début de cette aventure pas loin de 70 images (courage… j'en avais en gros 90 à réaliser, la fin n'est plus si éloignée que ça!…), j'en suis arrivé à la "recette" suivante.

Étape 1: premières recherches, premiers roughs.
Lorsque je reçois un récit à illustrer, je le lis bien entendu plusieurs fois, en soulignant à chaque fois les mots qui me paraissent importants (personnages à faire figurer, attitudes, décors, éléments historiques sur lesquels je dois me documenter, etc…) Je fais mes petits crobards pour moi, je sélectionne l'idée ou les idées que je vais soumettre à mon éditeur, et je réalise le ou les roughs à soumettre à mes commanditaires. C'est la partie la plus amusante, la plus "libre" du processus de réalisation.

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Sur les propositions que je soumets, l'éditeur va émettre des remarques, voire demander une nouvelle refonte de l'image. Ce jeu de ping-pong peut parfois durer plusieurs jours (à mon grand désespoir), mais il ne faut jamais perdre de vue qu'il faut que l'image soit la plus en phase avec le texte original, tout en respectant la direction artistique de l'ouvrage; en tant qu'illustrateur on a souvent le nez dans le guidon et les remarques extérieures sont toujours pertinentes. C'est donc un stade où il faut être très à l'écoute des souhaits de chacun et savoir mettre son égo de côté :)
Pour l'image prise en exemple, il s'agit d'une scène présentant au début du vingtième siècle l'arrivée des locomobiles (oui, moi aussi, lorsque j'ai lu ce mot pour la première fois, ça m'a fait bizarre…) et des moissonneuses mécaniques de l'époque. J'ai donc dû pas mal chercher de documentation :)

Étape 2: les étapes du crayonné.
Lorsqu'un rough est validé, la phase créative à proprement parler est terminée… On rentre dans la phase du crayonné. Normalement, à ce stade, plus de surprise: tous les éléménts (personnages, attitudes, expressions, décors, et le reste…) ont été mis au point dans les roughs. Pour gagner du temps, du reste, sur les dernières images réalisées, je me suis permis de travailler à la table lumineuse en reprenant mes roughs (réalisés à l'origine en A4, je les agrandis en A3, et les reprends sur une feuille de papier machine A3). C'est du "décalcage" sauvage, en quelque sorte :)

Comme je sais que, même si théoriquement il n'y a plus de surprise dans un changement de décision du côté éditorial, il y a toujours des aménagements à pratiquer par la suite, j'ai de plus en plus tendance à travailler sur plusieurs "couches", plusieurs feuilles qui me permettent de séparer certains personnages, certains plans, certains éléments…

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Je scanne tous ces éléments, et les assemble dans un document A3, avec un logiciel de retouche photo bien connu :)

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Et là, généralement, il y a toujours des trucs à retoucher, des petits éléments à modifier, des personnages à rhabiller, des gestes à peaufiner, etc, etc… Je passe alors par plusieurs versions successives jusqu'à arriver à l'accord final de l'éditeur.

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Étape 3: le crayonné finalisé.
Lorsque tout est en place, qu'éditeur et auteur se sont mis d'accord sur les ultimes retouches, que j'ai effectués les ultimes aménagements, je crée alors un document avec les traits de coupe, je retouche les contrastes pour avoir un trait suffisamment propre pour ne pas gêner la mise en couleur… et je file chez mon prestataire préféré pour transférer ce fichier sur un papier aquarelle 300g (en général la dite imprimante ne recrache le document à contre-cœur qu'après plusieurs tentatives, surtout lorsque l'air est humide… Il faut dire que 300g/m2 c'est bien au-delà de ce pourquoi la machine a été construite…)

Afin de me faciliter la vie (grosse faignasse que je suis…) je place rapidement quelques masses, quelques ombres toujours avec un logiciel de retouche favori pour en imprimer un copie. Ce document me servira de référence pour la mise en couleurs, surtout à la première étape, celle de la mise en place des grandes masses.
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Et voilà :) Ne reste maintenant plus qu'à tendre la feuille sur une planche de bois, à la laisser sécher une bonne journée, pour pouvoir enfin passer quelques jours intenses avec ma boîte d'aquarelles, mes pinceaux et des litres d'eau, sachant qu'aucun de ces participants ne fera vraiment ce que je voudrais… Et c'est précisément la tâche dans laquelle je vais me plonger dans les instants qui viennent :%%%
Rendez-vous cet été pour voir le résultat, lorsque le livre sortira ;D